Errance mélancolique, voyage au pays des merveilles Caraxiennes.
Mes mains s’approchent du clavier, puis s’arrêtent en plein
mouvement. Suis-je prête à écrire sur mon maître spirituel ? Ai-je le droit
de dire que j’ai l’impression d’être née pour découvrir son cinéma ? Par
ailleurs, suis-je prête à partager avec d’anonymes ou moins anonymes lecteurs
des œuvres que j’aimerais être la seule à avoir vues ? Mes mains
commencent à tapoter, hésitantes, seulement guidées par l’amour et l’envie de
rendre un hommage, aussi minime soit-il, à un artisan de la mélancolie.
Les personnages Caraxiens sont noyés dans la mélancolie
éternelle des êtres qui ont trop de larmes, ils prononcent les maux des âmes
avec une douceur déchirante et un humour bouleversant. Ce sont des êtres aussi
fragiles que solides, aussi blêmes que rieurs, aussi amoureux que tristes. Ils
sont perdus, coupés du monde, coupés de la foule grouillante, froide et
impersonnelle.
Les personnages Caraxiens sont faits pour se rencontrer, s’aimer,
jusque dans les plus grandes tragédies que sont les vallées de leur existence.
Ils se voient les uns les autres à travers des vitres de sentiments,
incapables, souvent, de se regarder directement. Même leurs mains n’osent
toucher, caresser. Elles s’approchent pourtant chaque fois un plus près en
fantasmant la peau que peut-être jamais ils n’oseront parcourir, de peur de la
profaner. Car l’amour c’est avant tout un regard, un regard qui s’attarde.
Les personnages Caraxiens ne dorment pas, ou peu, là où ils
auraient besoin d’un immense repos. Ils sont à bout de force, mais jamais ne s’arrêtent
de courir, poursuivant un horizon qu’on leur voudrait un tant soit peu plus
doux. Ils sont dignes, si dignes. Dignes dans leur misère, dignes dans leur
tristesse. Que l’on se reconnaisse ou non dans ces personnages, on ne peut
passer à côté de leur regard. Leur regard profond, déchirant, déjà dans leur
ailleurs. Un ailleurs qui devient un film.
Le cinéma Caraxien est un immense théâtre, expressionniste, costumé,
sublimé par la lumière et les couleurs des passions et des grandes peines. Il
est une déambulation au sein du mal du siècle, au sein du mal des êtres. Tout y
est assumé, la chaleur extrême, comme le plus froid des hivers, la tragédie
comme l’imaginaire, le silence comme le monologue… On y danse, on y chante, on
y crie, on y court et on y aime. On y vit. On y dit l’indicible, les secrets et
les peurs. On y cadre des visages sublimes, enfantins, vieillis, perdus et passionnés.
On y cadre la vie.
Leos Carax est un penseur d’images, un garçon né pour
rencontrer la machine sainte et les amants endormis. C’est un rêveur, un savant
observateur et un humaniste qui œuvre dans l’ombre de ses lumières sublimes et
de ces personnages que les autres avaient oubliés. Derrière ses pellicules, la
mélancolie devient splendide et sacrée. Et moi, réfugiée devant mon écran, je
sais désormais que je ne suis plus seule.
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