Grave, de Julia Ducournau. Maestria, renouvellement et personnalité

Maestria, renouvellement et personnalité.


Commençons par souligner le fait que Grave est un film qui bénéficie d'une véritable atmosphère, d'une aura novatrice qui dilue le malaise (et non réellement la peur) au sein d'un univers visuel hypnotique où lumières et espaces s'agencent avec minutie et maîtrise.

De fait, la mise en scène, faîte notamment de décadrages, contre-plongée et caméra au plus près du sol, mêle habilement savoir-faire et oppression afin de nous plonger au cœur de la noirceur de la situation de l'héroïne tant au travers du bizutage que de sa transformation, mutation personnelle. Ces choix judicieux et astucieux semblent ainsi relever du génie précoce d'une réalisatrice/scénariste qui porte déjà une grande vision de cinéma et des partis pris des plus passionnants qu'elle a le talent et l’audace nécessaires pour exploiter jusqu'au point de rupture (tout est justifié, rien n’est gratuit alors que l’on parle tout de même d’un univers devant exploiter des actes inhumains !).
Par ailleurs, la richesse et la diversité du long vient aussi du fait qu’il appartient au rang de ces œuvres incasables. Le film pourrait ainsi être qualifié de  «Récit initiatique, tragique, teinté de comédie et de  body horror », rien que cela !

Nous nous intéresserons en particulier ici au ton dramatique du film d'auteur qu'est Grave. Cette veine tragique, dramatique (Julia Ducournau employant le terme "Tragédie antique moderne") repose avec brio surtout sur l'exposition de la dualité d'une héroïne qui lutte contre ce qui lui arrive et qui tente, tant qu'elle peut, de réprimer ses pulsions, de faire taire la part d'ombre qui la submerge (ce qui peut nous faire penser avec satisfaction à La Féline, de Jacques Tourneur). En cela, ce personnage, en proie à une lourde phase de "transition", de fondement de son identité, se révèle terriblement ancré dans la réalité. Nous n'oublierons pas de noter la sublime prestation de Garance Marillier qui donne corps (son visage et son corps semblent littéralement se transformer tout au long du film) mais aussi âme à son personnage avec un naturel et une franchise exemplaires.


Cet ancrage dans la réalité et cette tension dramatique donnent également une toute autre dimension au film en y invitant l'esthétique, le Beau (dans la forme et dans le fond) qui ne repose pas tant dans ce qui est racontée au premier degré que dans l'aspect métaphorique du récit, et dans la psychologie et les sentiments qui animent les personnages et les relient entre eux. Car en effet, une autre force majeure du film est de dévoiler le Beau dans ce qui ne l'est a priori pas. On citera par exemple, la très "belle" et en même temps si tragique scène entre Justine et sa sœur dans la dernière partie du film, qui résume à elle seule les complexes rapports sororaux entre lien indéfectible et conflit permanent (notamment ce plan les dévoilant telles deux chiennes enragées résume à lui seul le don qu’a Ducournau pour humaniser de manière esthétique l’inhumanité justement, sans jamais verser dans le grotesque pour autant).


En ce sens, la photographie de Ruben Impens est impeccable et immensément riche, attractive, jouant notamment sur un équilibre entre nuances de bleu (liberté ? Innocence ?) et de rouge (Désir, passion ? Violence ?), surplombé par un hypnotisant éclairage expressionniste. Sans oublier la bande-originale de Jim Williams qui vient s'ancrer avec brio dans la trajectoire évolutive du film, et qui semble à plusieurs reprises proposer une savante introspection des personnages. En parlant de trajectoire évolutive, on notera à quel point le temps est ingénieusement maîtrisé pour dévoiler la trajectoire fulgurante et limpide d'une protagoniste si complexe en moins d'une 1h40... Le découpage bénéficie ainsi d’une importante homogénéité.


Pour conclure, nous aimerions sincèrement saluer la virtuosité d'une réalisatrice qui fait le choix de ne pas choisir justement, en nourrissant toute l'étendue de son univers d'une multiplicité de genres et d'envolées artistiques qui nous rappellent que tout bon auteur ne s'empare des codes préétablis que pour les détourner et les façonner selon sa propre vision, quitte à produire un véritable uppercut de cinéma qui dérange tant qu’il fascine… 

Grave
de Julia Ducournau
Sortie le 15 mars 2017

Julia Ducournau, La Semaine de La Critique 2016

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