Grammaire sublime d’un corps androïde et métallique



Julia Ducournau est une ébéniste des corps, une démineuse du genre, ainsi qu’une infiniment empathique et aimante créatrice d’êtres fictifs. De ses mains naissent des mondes, des femmes, des hommes, des corps qui apprennent, soit à se battre contre leur condition, soit à la remodeler, à l’adapter, d’abord à soi-même, puis à cet autre qui n’est pas soi justement, pour vivre non plus contre, mais avec. Avec ses films en tout cas, je veux vivre toujours, car ils ont eu à deux reprises le pouvoir de changer ma vie, puis de la sauver. Cela semble faire beaucoup, mais cela ne sera jamais assez face à la grandeur de cette femme qui, sans le savoir, me guide silencieusement depuis des années. 
Le titane est, je cite, « un métal hautement résistant à la chaleur et à la corrosion, donnant des alliages très durs ». Penchons-nous avec délice sur les alliages filmiques de celle qui a de dur et hautement résistant, son amour pour les récits qui donnent des images en mouvements qui viennent délicatement griffer le cœur de nos ventres grossis par son génie.


Deuxième sexe hurlant

 

Titane, c’est notamment montrer, sans atours pesants, une femme qui transcende le statut que le monde voudrait lui donner puisque c’est une jeune femme qui assassine, qui jouit, qui s’oppose à la maternité et qui impose, sa féminité, comme son altérité, et j’en passe. En clair, c’est un être qui, à l’instar de Ducournau qui ne s’en donne aucune dans l’exercice magnifique de son cinéma, ne s’impose aucune frontière, aucune limite, hormis celles, inéluctables, que la tragédie grecque qu’est le film lui fera tomber sur les épaules. C’est le déploiement d’un female gaze digéré, parfaitement intégré, parfaitement retranscrit, pour notre plus grand bien.


Le roi est mort, vive le roi…

 

Titane s’impose de suite comme une œuvre de réinvention totale en faisant tout simplement, et métaphoriquement, assassiner ce qui pourrait être rien de moins que l’héroïne du film précédent de Julia Ducournau. Justine, interprétée par la même Garance Marillier, trouve ainsi la mort entre les mains de la reine nouvelle, Agathe Rousselle, alias Alexia (prénom de la sœur de Justine dans Grave…). Ducournau prouve ainsi, d’emblée, deux choses. Elle a tout digéré de l’œuvre d’avant, celle qui lui avait pris six ans de sa vie, et elle s’engage par la même dans un geste de réminiscence complet (qui, lui aussi, a demandé des années de travail). La réalisatrice prouve déjà là sa maestria, elle ne sera pas vraiment là où on l’attendait, elle a découvert une terre nouvelle en son talent.

 

L’ombre de Rousseau…

 

La réalisatrice, non seulement contente de jouer aux échecs avec les différents leaders de ses œuvres ainsi mêlées, vient placer ces êtres, ces humains, au centre de tout. De tout un film, de tout un genre, de tout un récit. Au centre donc, leur identité, leur transformation, leur(s) chute(s), leur solitude… Mais des éléments qui, dans Titane, vont venir fusionner dans l’amour de deux êtres qui s’apaisent petit à petit, qui trouvent chacun en l’autre, ce qu’ils ont perdu ou qu’ils n’ont jamais eu, pour venir former un duo de cinéma terrassant et mémorable. 

Deux êtres qui se trouvent en bouleversant leur identité, en floutant ses lignes, en faisant fi de ce qu’elle est supposée « imposer ». De toutes les formes que prend le film, il y a celle du renouveau queer où d’autres types de genres s’embrassent, quitte à égarer les plus frileux sur le bord de la route. Tant pis pour eux. 

 

A-bras-le corps 

 

Julia Ducournau et le body horror, en voilà un second duo flamboyant. Ici, le corps démange, il craque, il se casse, il grossit, il s’ouvre… En fait, il se réveille, ou on le réveille de force (Vincent), il épouse la machine et ses matériaux, il hurle et vrombit de plaisir dans la carlingue mystérieuse (Alexia). En bref, il vit jusqu’à la déchirure fatale d’un destin qui pèse lourd comme un couvercle. Pour citer Rimbaud après Rousseau, c’est un « long et raisonné dérèglement de tous les sens ».

 

Avec Titane, Julia Ducournau assoit sa maîtrise, et technique/formelle, et thématique, en humanisant encore davantage les traits de « son » genre. Elle y accouche d’une œuvre sublimement protéiforme qui entrelace les identités pour mieux les ébranler, puis les adoucir, dans une foi en l’être furieuse, totale, bouleversante.


Titane,                            
De Julia Ducournau,
Sortie le 14 Juillet 2021  
       


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