Pureté Iakoute. Aga, Rencontre avec Milko Lazarov
Entre Ciel et Terre, l’horizon se découpe, les
personnages progressent, lentement, tranquillement. Le blanc immaculé de la
Neige se confond, dans le silence, avec la pureté de l’âme de ceux qui ne
connaissent que leur monde, que leur vie. Le réalisme est confondant, le
mélodrame est bouleversant.
Milko Lazarov filme l’amour à l’image de la nature.
Enveloppante, dépouillée et pur. Si pur… Son amour profond pour les Iakoutes
est évident. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment pourrait-on
ne pas puiser un apaisement évident dans cette vie loin de l’agitation, du
bruit et de la fureur. Là-bas, tout cela n’existe pas. Il n’y a que Sedna et
Nanouk, intouchables dans leurs épais manteaux, qui vivent selon le rythme de
leurs terres et surtout, de leur amour.
Si pour Lazarov, « l’esthétique avant tout ! »,
on a surtout l’impression de rencontrer un peintre qui respecte chacune des
couleurs qu’il utilise, et dont la beauté du tableau n’a d’égal que la force de
ses symboles…
On pourrait dire que
votre film comporte trois matrices principales dans son rapport au son :
Le silence, le bruit (assourdissant, des objets, du monde contemporain…) et la
poésie de longs dialogues. Comment s’articule votre travail à ce niveau-là ?
Le mélange de ces trois matrices comme vous dîtes, doit
être le plus efficace possible pour l’histoire, pour sa ligne dramaturgique. C’est
intéressant que vous commenciez par la question du son. Je n’ai jamais cru que
j’utiliserais un jour de la musique dans un de mes films. Mais, cela est arrivé
dans celui-ci !
« L’image du son » a été pour moi un grand
challenge. Comment on la crée, etc…
Vous avez grandi
avec les récits d’aventure. Pourtant, dans Aga, la beauté découle du quotidien
ordinaire de deux Iakoutes. Voyez-vous la vie de ces personnes comme une sorte
d’aventure qui nous serait inaccessible ?
En fait, ces personnes-là nous représentent dans notre
désir d’être cela. En ce qui me concerne évidemment ! Moi, ma famille, et
mon milieu. Nous ne sommes pas comme ça mais notre désir serait de l’être.
Sur ce tournage,
vous étiez un peu un explorateur armé d’une caméra si l’on peut dire !
Effectivement, c’est très juste ce que vous dîtes. Je
pense que le rôle du réalisateur c’est aussi d’être un explorateur quelque
part, car il part découvrir quelque chose pour lui-même, mais aussi pour le
public. Mais, plutôt qu’explorateur, je dirais peut-être observateur. En effet,
dans ce cas précis, j’observe ce qui prend place devant moi.
Le film mêle
réalisme, abstraction, lyrisme et poésie. Comment le définiriez-vous en
priorité ? Ou préférez-vous conserver cette notion d’hybridité ?
Par rapport à ces aspects-là, j’aimerais bien laisser au
spectateur le choix de décider, car moi, je n’en sais pas grand-chose. C’est un
processus très long pour avoir cette heure et demi au final. Mais, même à la
fin, je ne sais pas moi-même définir le film. Par exemple, après la Berlinale,
je l’ai revu (cela faisait un certain temps que je ne l’avais pas fait) en
Israël, dans le désert, et je ne l’ai pas tellement apprécié !
Ce qui est très
beau également, c’est que vous parvenez à faire adopter au spectateur le rythme
de vie de Sedna et Nanouk. Comment procède-t-on ?
En fait, je n’ai pas vraiment de recette précise. Si je l’avais,
je serais très heureux ! J’observais et étudiais beaucoup ce peuple, et
tout est très naturel, tout découle d’une seule prise ! Il s’est produit
quelque chose de très naturel.
Le film entraîne
un sentiment de grand apaisement, et de pureté. Est-ce ce qui vous a attiré
chez les Iakoutes ?
Oui, j’ai été attiré par cette pureté et cet apaisement
que vous mentionnez (qu’on retrouve au Canada par exemple). Mais aussi par le
fait que les gens sont très innocents là-bas, comme des enfants. Par exemple,
dans la langue des Inuits, les verbes « voler « ou « mentir »
n’existent pas ! Et cette pureté m’a donné la possibilité de faire une
grande métaphore à partir d’une histoire d’amour très simple. Même une goutte
de sang sur la neige signifie autre chose là-bas.
Le lyrisme de
certaines scènes se mêle parfaitement au dépouillement des plans. On dirait
parfois que la Nature a remplacé votre pellicule.
Effectivement, j’étais dans des conditions où la Nature
devient un des personnages les plus importants. C’est un film où peu de choses
se passent, où il y a peu de dialogues, c’est en fait un piège que je m’étais
posé moi-même et la Nature constituait le moyen d’en ressortir.
Aga,
de Milko Lazarov.
Sortie le 21 novembre 2018.
Un grand merci à Milko Lazarov et à sa traductrice pour leur gentillesse et leur générosité, ainsi qu'à Anne-Lise Kontz et Claire Viroulaud qui ont rendu cette rencontre possible.
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