Violente douceur, un uppercut qui caresse. Rencontre avec Camille Vidal-Naquet et Félix Maritaud pour Sauvage.
"La liberté, je pense que c’est un état dont on ne revient pas." (Félix Maritaud)
Sauvage reste. Dans sa douceur, dans sa violence, Sauvage est un uppercut qui caresse, qui apaise et qui bouleverse. Dans la nuit il nous réveille, au petit jour il nous rappelle. Ton visage Léo, toute comme ta démarche et ton énergie me hantent. Tu ne m'as pas abîmée, tu m'as réconfortée. Tes mains ballantes m'ont portée, m'ont renvoyée à tant de choses que tu ne soupçonnerais même pas. Dans tes bras je ne suis pas, mais dans mon esprit tu ne cesseras jamais de t'épanouir. Je ne pouvais continuer ma vie sans vous rencontrer. Camille Vidal-Naquet, Félix Maritaud, je ne vous remercierais jamais assez.
Vous expliquez
être parti d’un personnage, plutôt que d’une histoire. Au départ, aviez-vous
imaginé ce personnage dans un contexte social complètement différent (sans la
rue et la prostitution) ?
Camille Vidal-Naquet : Comme c’était un personnage
qui ne possédait rien, obligatoirement cela m’a amené assez vite vers la
précarité, vers un lieu où il n’aurait rien. Mais pas forcément la
prostitution, qui est quand même venue assez vite car le principe de mon
personnage était la recherche d’amour. Et s’il y a bien un endroit qui conjugue
la précarité et le manque affectif, les liens vers l’autre, c’est la
prostitution masculine. Et puis, c’est un thème qui m’avait déjà intéressé il y
a assez longtemps (j’avais travaillé un peu dessus).
Mais c’est vrai qu’au départ, c’était vraiment sur lui,
sur ce personnage là que j’ai travaillé, et pas tant sur l’aspect social non.
C’était sa force qui m’intéressait. Plus que de peindre un milieu social.
Félix Maritaud, je
crois que vous avez beaucoup travaillé en termes de chorégraphie, de danse.
Mais justement, comment arrive-t-on à lier l’aspect très instinctif et sauvage
du personnage avec quelque chose de plus chorégraphié et maîtrisé ?
Félix Maritaud : En fait, on
n’a pas travaillé sur de la chorégraphie, mais sur de la réactivité corporelle.
Donc, ce n’était pas du tout des choses basés sur le contrôle du corps, mais
plutôt dans le lâcher prise du corps, dans le langage et le dialogue du corps
sur de la réactivité émotionnelle. On a travaillé avec un chorégraphe, Romano
Bottinelli.
Mais même au-delà de ce travail en danse, il y avait
toujours un travail du corps pour le personnage. Avec Camille, on a travaillé
sur la posture de l’attente, les déplacements, le fumage de crack… Même pendant le casting, Camille m’a fait
faire des choses, beaucoup plus qu’il ne m’a fait parler ou dire des textes.
Donc vraiment un travail du corps en tout premier lieu.
On a créé, par le biais de pleins d’exercices, une sorte
de mémoire émotionnelle du corps. Et, du coup, c’était assez facile après ça de
se « laisser aller » dans la mise en scène, ou en tout cas, de
laisser vivre ce corps-là.
Le film m’a fait
penser à deux poèmes : Le Dormeur Du Val, d’Arthur Rimbaud, et Liberté,
de Paul Eluard. Et, globalement, je trouve tout l’univers du long assez
poétique. Etait-ce un des partis pris premiers de la note d’intention ?
C V-N : Ce qui était dans la
note d’intention, c’était surtout la douceur que je recherchais, le côté
solaire. Et, notamment, comment exploiter la nature et tous ces éléments qui
viennent rompre avec le côté urbain, dur, du monde de la prostitution. C’est ce
que je voulais accentuer. Et je dirais que c’est un personnage qui est très,
très sensible, et, ce qui est poétique je crois, c’est qu’il est capable de
s’émouvoir d’éléments assez inattendus. Par exemple, alors que tout le monde
est en train de « tapiner », lui peut s’émouvoir de branches d’arbre,
trouver ça beau ! Il peut regarder les rayons du soleil, quand il est avec
le vieil homme, tout à coup s’émerveiller de sa douceur, etc…
Pour moi, j’étais donc plus dans la douceur que dans une
volonté véritable de poésie (qui est quelque chose d’un peu vague), à part
peut-être le dernier plan où il y a une volonté de « déréaliser » un
peu, d’être ailleurs. Le reste c’était plutôt la question d’accompagner cette
douceur-là, qu’on interprète peut-être comme étant de la poésie. Finalement, on
se dit qu’un jaillissement de douceur dans un univers très violent comme ça, ça
arrive rapidement, comme quelque chose de poétique.
C’est drôle car beaucoup de gens m’ont parlé du Dormeur Du Val, me disant que la
référence était évidente à la fin, alors que je n’y ai jamais pensé durant le
film ! Je connais très bien le poème mais ce n’était pas du tout dans les
références que j’avais.
En fait, je crois que la douceur se remarque beaucoup
quand elle intervient dans un milieu violent. Plus que si l’on fait un film
inscrit dans la douceur en permanence. C’est un contraste.
Félix Maritaud,
votre prestation, vos gestes, me hantent littéralement… Quand vous donnez
autant dans une prestation justement, est-ce que, paradoxalement, ça vous
prend, ça vous « arrache » quelque chose ?
F M : C’est assez marrant parce
que j’ai répondu à beaucoup de questions similaires, et en fait, ça évolue avec
le temps, j’ai compris davantage certaines choses… Je ne pense pas que ce film
ait « arraché » quelque chose. Il y a quelque chose qui s’est
assimilé ou retourné, mais ça ne m’a pas pris ou ajouter quelque chose. Mais,
la liberté, je pense que c’est un état dont on ne revient pas. Il n’y a pas de
retour possible à la liberté absolue comme peut la toucher la candeur de ce
personnage. Donc c’est vrai qu’il y a peut-être un truc du film qui est resté
avec moi.
Tout ce que j’ai pu donner dans ce film, je l’ai fait
consciemment, avec l’aide de Camille qui m’a poussé à le faire. Mais ce n’est
pas du tout quelque chose que je mets sur un piédestal, c’est juste
normal !
J’ai du mal à me
décider sur le rôle, sur la place de la caméra dans le long. Est-ce plutôt un
« ange gardien », ou un « spectateur » plus ou moins
voyeuriste ?
F M : Sur ce tournage, il y a
eu une vraie communication avec la caméra (qui était un homme, Jacques Girault,
le chef opérateur, et son assistant). J’ai beaucoup communiqué avec Jacques sur
les scènes, sur le corps dans l’espace… Toi aussi Camille je crois ?
Donc la place de la caméra c’est celle… Plus celle d’un ange
gardien effectivement, mais peut-être aussi d’un collaborateur, d’une épaule,
d’une présence… En tout cas il n’y a pas du tout de voyeurisme. Tout le monde
était très intime sur ce tournage.
C V-N : Je voulais une caméra
qui soit très mobile, qu’on ait un filmage un peu instinctif. L’idée c’était
presque d’essayer de filmer ce qu’il peut rester de fragilité et d’amour dans
un monde hyper violent. C’est-à-dire d’observer, de saisir les vestiges de
sensibilité. Et donc, pour moi, c’était très important d’avoir une caméra qui
mime cette sensibilité-là. Tout le film était en caméra portée, et pour moi ça
permettait de faire une fusion intégrale, c’est-à-dire d’être avec Félix en
permanence, et de mimer avec douceur tous ses déplacements. On a presque essayé
avec Jacques (Girault) d’établir une chorégraphie entre le corps de Félix et la
caméra, de manière à ce qu’elle soit un peu englobante, pas observatrice. Et ce
que je trouve intéressant, c’est que ce n’est pas voyeur, mais que le
personnage est assez sauvage (comme le dit le titre !), pas apprivoisé, et
donc je crois que cette caméra est un peu secouée car il y a des hésitations, on
montre qu’on a du mal à s’approcher. C’est dur de filmer un animal
sauvage ! Donc on essaie, on met des « coups de zoom » pour
tenter de le cerner mais c’est difficile de le faire avec ce personnage. C’est
ce qu’on a essayé de montrer.
Ensuite, il y a quelque chose qui est essentiel dans le
film, qui est le rythme de la caméra. Les zooms, les mouvements de caméra, les
très légères oscillations, soutiennent un rythme en permanence ! Soit un
rythme très violent, soit, au contraire, c’est une subtilité, avec une caméra
parfois très « caressante ».
On s’adapte. Le but étant évidemment que la chorégraphie de la caméra
s’adapte en permanence au jeu de Félix et aux émotions qu’on voulait
transmettre du personnage. En ce sens, je pense qu’elle fait corps avec lui,
qu’on peut plus parler d’ange gardien, et qu’on est parfois plus dans la
stupeur que dans le voyeurisme. Parfois, on a une caméra qui ne comprend pas
forcément les choses, qui est un peu éjecté, qui cherche son cadre. Mais
c’était aussi une volonté de rattraper l’inadéquation possible entre un
personnage très sauvage, et une caméra qui essaie de maîtriser la situation.
Outre cette soif
de liberté et d’amour, Léo cultive un côté très enfantin (rires, réponses à
certaines questions…) qui vient renforcer la franchise du personnage et notre
attachement à lui.
F M : C’est assez juste !
C V-N : Oui, il a un côté…
F M : Innocent.
C V-N : Oui ! D’ailleurs,
j’ai lu qu’un critique disait que ce personnage est un « merveilleux
naïf », et j’ai trouvé l’expression superbe ! C’est-à-dire qu’il a
une espèce de naïveté comme peut l’être celle des enfants. C’est une naïveté
qui n’est jamais bête, c’est une naïveté belle… Le fait de voir les choses
comme pour la première fois, de s’en émerveiller sans jamais les juger
vraiment. En étant toujours dans une sorte de « curiosité au monde ».
Comme si c’était un être qui ne connaissait pas le cynisme, qui était en
permanence dan l’honnêteté. Et, très rapidement au cinéma, quand on fait un
personnage qui est pur, sincère, on l’assimile à un enfant. Et c’est vrai qu’il
l’est beaucoup dans le film, il a des gestes un peu gauches, etc…
Mais c’est aussi
une bouffée d’air pour nous au milieu d’une telle violence…
C V-N : Ah oui,
complétement ! Ce qui est assez beau je pense, c’est que son côté enfantin
est plus fort, n’est jamais atteint par la violence. C’est ce qu’il fait qu’il
rayonne dans ce monde.
En ce qui concerne
les scènes de prostitution, vous parvenez à trouver l’équilibre parfait entre
ce qui est montré, et les ellipses. Cela vient-il plus de votre découpage
pré-montage, ou d’un gros travail de montage ?
C V-N : Des deux ! Pour le
tournage, il faut savoir qu’on essayait de tourner intégralement la séquence,
ou en tout cas de grandes portions d’actions, presque en plan-séquence, et,
ensuite, on variait les axes, en sachant que ça allait être monté de façon
très, très « cut » à la fin. On voulait une vraie vitalité. Donc, on
a justement passé beaucoup de temps à décider des axes et de la répartition des
personnages. Et ce qui prenait beaucoup de temps dans ces scènes de
« passes », plus que de savoir où mettre la caméra, c’était de
chorégraphier les corps. De savoir où on place les corps et qui se met où, afin
de créer quoi ? Il fallait réfléchir au nombre de plan, à leur
suggestivité ou non… Par exemple, pour la première scène du
« médecin », on a une caméra très libre parce qu’on est dans une
scène de surprise, de découverte, donc on laisse la caméra « se
balader » un peu de manière assez douce entre les deux personnages. Alors
que la scène avec le plug est très découpée, avec seulement trois plans qui se
répètent. C’est un découpage assez implacable, très dur.
Pour ce qui est du montage, ça a été quelque chose de
très instinctif, où on écoutait seulement la vibration. On essayait de voir ce
qui vibrait, et comment faire palpiter l’énergie du personnage. Le montage a
vraiment été une nouvelle écriture du film.
Par rapport à
votre manière de filmer les corps, je vous trouve un vrai don pour filmer les
mains…
C V-N : Merci ! Mais c’est
vrai qu’avec les mains, il y avait tout un truc que je voulais au départ (qu’on
a finalement pas suivi), c’est qu’il s’agrippe vraiment aux vêtements des gens.
Finalement, ce qui nous plus inspiré, c’est que les mains de Félix soient
plutôt ballantes. On a trouvé ça très beau et on l’a filmé plusieurs fois. Ce
qui donne peut-être plus de grâce et d’abandon.
Sauvage terrasse sur le coup, mais a
aussi la force de rester. Quels sentiments sont amenés à rester sur l’acteur et
le réalisateur que vous êtes ? Et que pensez-vous de la postérité du
film ?
C V-N : Moi, étant donné que le
film vient de sortir, je commence à peine à prendre de la distance.
F M : Pour moi, à partir du
moment où le film est en salle et vit avec son public, je trouve ça beaucoup
plus beau de laisser vivre l’amour de ce personnage avec ce public (sur lequel
je n’ai pas de contrôle). Essayer de rechercher un contrôle sur ce public ne
m’intéresse pas du tout.
C’est assez particulier pour les acteurs car on a quand
même un espace très long entre le tournage, et le moment où le film sort. Un
espace où (plus ou moins, car je suis resté très en contact avec Camille
pendant cette période quand même) on n’a plus de contrôle sur ce que l’on a
fait, où l’est « manipulé » par un monteur, un mixeur, etc…
On a fait beaucoup de presse, beaucoup de représentations
pour le film, et je ne sais pas si ce n’est pas le souvenir le plus beau que je
garde de ce film.
C’est très beau de voir le film vivre avec son public. Je
reçois beaucoup de messages, et parfois c’est très touchant. On n’a pas idée à
quel point quelqu’un peut être touché… Rien que ta réaction est très forte pour
ça tu vois ! Parce qu’on a fait le film très simplement, honnêtement…
C V-N : Moi, je commence à me
sentir bien maintenant. Je suis assez fier de tout ce qu’on a fait sur ce
film… Je suis fière de l’avoir fait jusqu’au bout, d’avoir mené cette sortie
(avec la très grande aide de Pyramide
Distribution)… Le film ressemble vraiment à ce que je voulais faire, donc
j’ai une sensation d’accomplissement et je suis assez apaisé. C’est très beau,
très émouvant de voir la réaction des gens. J’ai l’impression que le film vit,
et que je reprends ma place (j’ai passé tellement d’heures à réfléchir, monter,
mixer, etc…).
Maintenant, j’ai besoin d’un nouveau projet alors que ce
n’était pas du tout le cas jusqu’à il y a quelques semaines ! J’ai besoin
de m’impliquer dans quelque chose, de rencontrer un nouveau personnage…
C’est donc assez paisible avec un film qui est pourtant
assez radical, qui va chercher dans des choses assez sombres. J’ai l’impression
que nous, on en ressort grandis et apaisés. Et je pense que c’est aussi le cas
pour le reste de l’équipe. On a fait de belles rencontres, il y a un truc très
tendre entre nous… Et je me sens prêt pour la suite !
Remerciements infinis à Camille Vidal-Naquet et Félix Maritaud pour leur incroyable bienveillance et leur générosité... Un immense merci également à Claire Viroulaud pour l'opportunité qu'elle m'a offerte.
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