"On ne naît pas femme, on le devient". Les Garçons Sauvages, de Bertrand Mandico.


"On ne naît pas femme, on le devient." Chronique, Les Garçons Sauvages de Bertrand Mandico.



J’ai embarqué à bord d’un navire prometteur en sachant qu’il m’emmènerait loin, mais en ignorant tout de sa terre d’exil. Sans idées aucune du sol que j’allais fouler. Comment aurait-ce été possible alors que le sable même qui le constitue trouve sa forme dans l’enchevêtrement audacieux des grains si singuliers issus de l’esprit bouillonnant d’un artiste ?
A la sortie de cette salle, que j’aurais juré cru voir tanguer et être dévorée par une forêt étrangement luxuriante, Capitaine, je puis vous l’assurer, j’avais l’étrange sensation d’avoir gouté à un fruit défendu, inconnu (mais pas ceux du film , non !). Cette salle, pour tout vous dire, j’ai un temps pensé à la quitter, si dérangée que j’étais à la vue d’un érotisme souvent glauque et perturbant qui m’est inconnu. Seulement, dans toute sa si puissante beauté et audace formelle particulièrement, le film a tellement su répondre avec brio à « l’hallucination prémonitoire » que j’attendais (mais à laquelle, une fois de plus, on ne peut se préparer !), que le fruit s’est révélé totalement hypnotisant et m’a fait quitter mon navire le sourire aux lèvres, le cerveau à l’envers. Mais aussi émue, et fière de voir que le septième art saura toujours dévoiler à sa surface infinie, des visions que l’on n’aurait surement jamais soi-même pu imaginer/rêver, et qui nous font dire, l’excitation et les larmes au fond des yeux, « je n’avais jamais vu cela auparavant ». 
La mise en scène, couplée à sa photographie, fût une danse poétique et plastique à vous en parer la rétine d’un grain nouveau, si novateur… Se succèdent ainsi, tableaux où tout ce qui est immobilité est si organisé et paré d’un élégant Noir et Blanc ; et fresques mouvantes, oniriques, accouchées par des couleurs très tranchées tout bonnement subjuguantes (pour ne pas redire, hypnotisantes). Fresques alternant elles-mêmes avec délice entre bain voilée d’un brouillard, tantôt aux tons violets/roses, tantôt aux tons verts/bleus.

La mise en scène est elle aussi un moteur de l’invitation à l’expérience, qui a la beauté de s’affranchir des frontières afin de venir transcender arts plastiques et visuels (transgenre n’est-il pas l’adjectif le plus employé pour décrire le film ?). Les personnages nous fixent, nous, spectateurs (tant symboliquement, qu’aux moyens de véritables regards caméra), avant d’en devenir un à leur tour, comme lors de la fabuleuse scène où Jean-Louis se balade devant « l’écran » de ses péripéties. Dans la même veine, la part belle est faîte aux surimpressions, aux mises en abyme subtils qui viennent pratiquement se muer en pièces de théâtre devant nos yeux.
Les Garçons Sauvages est tout simplement une œuvre qui bat au rythme du flot continu d’idées et de visions hallucinées de son auteur. Au rythme de la mutation de ces êtres à qui l’auteur en question chuchote intimement de l’imiter dans sa démarche, en leur disant « ne vous embarrassez d’aucune frontières mentales ou corporelles » (ce que ses actrices réalisent d’ailleurs avec une maîtrise folle). Et sa force à cet auteur d’ailleurs, est de ne fixer d’autres limites à cet univers si personnel, que celles que les spectateurs décideront d’apposer (ou non) à leurs propres interprétations.
Ainsi vit cet œuvre dans mon esprit, ne cessant de se mouvoir, ne cessant de mon convaincre de mon bonheur de voir la lutte s’intensifier pour peupler nos salles obscures de ce nouveau genre de gestes cinématographiques, qui sont bien plus nombreux que ce l’on semble croire, et qu’il nous faut à tout prix porter haut aux yeux du monde, telle la bannière d’un navire pirate, pour que jamais ils ne demeurent perdus au sein d’une huître démesurée…        


Les Garçons Sauvages,
De Bertrand Mandico.
Sortie le : 28 février 2018.

Commentaires

  1. Sublime texte encore une fois, sur un film français extravagant, inventif et qui montre que l'on sait fait autre chose que des comédies, bien qu'ici le public est plus restreint

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