Festival Viva Patrimoine, l'empreinte de l'art sur le temps (ou peut-être l'inverse...)
En cette fin de janvier 2018, au cœur de Valence, il est
possible de constater une effervescence toute particulière, une foule empressée
franchissant avec entrain les portes du Lux Scène Nationale. Nous nous
approchons alors un peu, nous nous interrogeons… Mais bien évidemment, nous
réagissons de suite à l’évocation de l’événement que l’on nomme :
« Festival Viva Patrimoine » et dont cette nouvelle année vient
marquer la cinquième édition !
Viva Patrimoine en quelques mots introductifs, c’est un
festival bien spécial qui a pour noble objectif de mettre à nouveau la lumière
sur les chefs d’œuvre cinématographiques d’autrefois, qui ont en tout cas
marqué l’histoire du septième art d’une manière ou d’une autre. C’est aussi
l’histoire d’un défi, celui de mêler le passé au contemporain, d’allier les
œuvres classiques à de nouveaux outils modernes pour mieux en révéler toute la
richesse et la faculté à traverser les époques. En bref, c’est exposer le patrimoine
du cinéma à la lumière dérobée du présent…
En plus de ces ambitions épatantes, quelle n’est pas
notre joie d’apprendre que, pour cette cinquième édition, c’est un de nos
grands maîtres de cinéma qui est mis à l’honneur. Le bien nommé Henri-Georges Clouzot !
Petit tour d’horizon à travers nos séances, entre
visionnages, conférences, et majestueux ciné-concerts…
Conférence, « Le Mystère
Clouzot », par Noël Herpe.
Avant de replonger dans la si dense filmographie du
cinéaste hors-pair, il nous paraît bien opportun de procéder à une petite
piqure de rappel concernant son art, et son œuvre en général. Ainsi, c’est Noël
Herpe, écrivain/historien du cinéma mais aussi et surtout ici, commissaire de
l’exposition « Le Mystère Clouzot » à la Cinémathèque Française, qui
va s’en charger !
Il commence d’emblée par mettre l’accent sur le fait que
le « monde terrifiant et fascinant de Clouzot », repose sur sa
volonté extrême de trouver sa propre modernité sa propre voie (malgré ses
influences, entre cinéma italien et expressionisme allemand). En effet, pour le
cinéaste, le septième art n’est « qu’invention perpétuelle », d’où ce
besoin « d’attraper la modernité qu’il voyait passer autour de lui ».
Besoin duquel découle une fascination pour les arts plastique, et en
particulier pour l’art cinétique, traduisant une furieuse obsession pour le
mouvement (des objets, des formes…).
Clouzot veut « filmer le geste », à la fois
dans son mouvement et dans sa rupture ? Soit, il filmera alors Picasso (cf. « Le Mystère Picasso »),
comme s’il était l’acteur d’un film à suspense comme il a l’habitude d’en
concevoir ! Cet acte exprimera également une autre quête propre à Clouzot,
la recherche de « l’œuvre derrière l’œuvre », la genèse devenant
comme une fin en soi, plus passionnante encore que l’objet fini.
Chez Clouzot, il y a donc le mouvement, mais il y a aussi
le subconscient, dont le réalisateur souhaite faire un sujet de film dès les
années 40. Cette soif d’image mentale trouve notamment sa source dans les
éternelles nuits d’insomnies du cinéaste, qui va jusqu’à espérer pouvoir porter
celles-ci à l’écran ! Ainsi, dans ce « labyrinthe imaginaire un peu
tordu » qui peuplera ses films, on distingue des hallucinations empreintes
d’un réalisme percutant, comme s’il traitait les cauchemars de chacun de
manière extrêmement « rationnalisée, cartésienne » (cf. la manière dont sont traités les
« apparitions du « mort » dans « Les Diaboliques »).
Chez Clouzot, « on passe des seuils en
permanence »… On parcourt des escaliers, on passe en quelques minutes d’un
lieu à un autre, mais cela ne sert bien souvent qu’à nous égarer, car la force
du cinéaste est de dérober à nos yeux, en permanence, les véritables
« coulisses » de ce qui se trame réellement (cf. les meutres en hors-champ). D’où cet effet récurrent de
« cadre dans le cadre », cette utilisation habile des motifs des
portes, des escaliers, ou encore des reflets, qui viennent souvent priver nos
yeux de la vérité en convoquant notre désir profond de spectateurs, celui de
voir ce qui se cache, même si cela implique une part évidente de
perversité… Pour parvenir à cette si
fine puissance de persuasion par les images, on le sait, Clouzot ne fera jamais
taire son perfectionnisme et son autorité accrue, quitte à plonger ses plateaux
de tournage dans un chaos indescriptible.
Noël Herpe clôt finalement la conférence avec une
interrogation subtile, « Clouzot se serait-il perdu dans sa quête
d’absolu ? » (cf.
« L’Enfer », ou encore l’accueil très mitigé de « La Prisonnière »…).
N’en demeure pas moins, à notre humble avis, une filmographie à la hauteur
de son génie.
« Le Mystère Picasso », film
d’Henri-Georges Clouzot, 1956
Découvrir la confection des peintures du célèbre peintre
en temps réel, vous en rêviez ? Clouzot l’a fait ! Grâce à ce passionnant
procédé qui ravira les plus férus de cet art que Clouzot incluait dans les
« arts nobles », la genèse même de la création devient la meilleure
façon de présenter un artiste qu’on ne présente justement plus… Là où le film
nous a paru le plus attrayant, c’est lorsqu’il présente justement l’envers du
décor, qu’il met en scène son réalisateur lui-même, dans une mise en abîme
surprenante où le cinéaste dirige le peintre comme un acteur, avec toujours les
mêmes exigences et le même perfectionnisme.
« Jean Douchet, l’Enfant
Agité », documentaire de Fabien Hagège, Guillaume Namur et Vincent Haasser
(en présence de
Jean Douchet, Guillaume Namur et Vincent Haaser, ainsi que de Vincent
Paul-Boncourt à l’occasion des 20 ans de Carlotta Films dont il est le
fondateur/distributeur passioné)
« Jean Douchet, l’Enfant Agité » aurait tout
aussi bien pu être présenté en ouverture tant il semble être l’illustration
parfaite de la valeur de la transmission, et de partage au fil des générations,
dont le festival se fait le porte-parole. Le documentaire offre un portrait
intimiste, et plein d’admiration, de ce grand critique qui a traversé les
années, enchaîné les rencontres, avec toujours la même passion indéfectible
pour les films qu’il défend sans regarder passer les heures. Jean Douchet n’est
pas juste une « encyclopédie vivante du cinéma », c’est aussi un
homme qui a toujours cultivé inconsciemment le goût de la transmission et du
partage, dont cette émouvante relation avec les trois jeunes réalisateurs est
le parfait témoignage, et dont découle un film aux accents d’hommage et de
remerciements.
Ciné-concert « Les
Misérables », film d’Henri Fescourt (1925), ici accompagné au piano par
Karol Beffa
On nous le présente comme « le cœur du
festival ». Malgré notre excitation, on ne peut s’empêcher d’en redouter
sa durée pharaonique (6 heures). Doute qui sera si rapidement dissipé par la
beauté de ce que nos yeux et nos oreilles découvriront… La splendide restauration
qui nous est offerte est sans doute la meilleure façon de rendre compte de l’immense
fable transgénérationnelle et humaniste que sont « Les Misérables »,
et dont la magie indescriptible du septième art est un si fabuleux passeur.
Passeur d’images, passeur de sons… Les émotions que procurent ce qui habite
ainsi l’écran ne peuvent qu’être doublées par la maîtrise d’un pianiste d’exception
qui, six heures durant, s’applique à écrire la mélodie du récit, des âmes et
des histoires qui se croisent, s’entremêlent et s’entrechoquent… De la séance,
nous sortirons comblés, avec le sentiment étrange d’être particulièrement
privilégiés. Privilégiés car il apparaît que c’est une expérience que chaque
passionné de cinéma mériterait de vivre.
« La Ronde », film de Max Ophüls,
1950
Plus que le récit lui-même et ses dix histoires dans
lesquelles on peine à se plonger réellement, nous avons ici admiré le savant
procédé de mise en abîme qui fait du personnage du « meneur de jeu »
un metteur en scène à part entière. En effet, chacune de ses apparitions
surprend par sa capacité à se déguiser en fausse genèse du récit, on pense par
exemple à l’habile plan-séquence qui ouvre avec brio le film, ou encore à la
séquence où le « meneur de jeu » censure lui-même la pellicule du
film !
« Le Salaire De La Peur », film
d’Henri-Georges Clouzot, 1950.
Retour avec notre maître admiré, que nous retrouvons ici
pour la première fois en terrain exotique ! La chaleur tropicale qui
engourdit les personnages n’a ici d’égal que la tension qui saisira avec effroi
ses spectateurs, d’où l’intérêt du lieu choisi. Le convoi de la peur avançant
en terrain hostile, où la tragédie se dissimule à chaque coin de virages et sur
chaque sentier, c’est le spectateur entrant dans le monde de Clouzot, où le
suspense se démultiplie en de multiples obstacles qu’il faudra savoir franchir
pour arriver au terme de la traversée. La mise en scène exigeante du cinéaste,
doublée du talent de ses acteurs emblématiques, participent également à la
constitution de cette atmosphère de l’angoisse au service d’une échappée sans
retour que l’on vit avec tant de plaisir sur grand écran.
« La Vérité », film d’Henri-Georges
Clouzot, 1960.
Clore un festival en beauté, c’est une affaire de la plus
haute importance ! L’enjeu est de terminer sur une note unique, sur un
souvenir important. Nous nous tournons donc, plein d’espoir, vers une dernière
partition du maître, vers un film dont on a entendu tant de bien qu’une
certaine appréhension nous saisit. Alors, non seulement « La Vérité »
jouera ce rôle de la plus belle des manières, mais il entrera dans le même
temps dans la liste si chère des films dont notre cœur se refuse à effacer la
trace. Le film jouit, de plus, d’une résonance étonnante avec notre siècle et
nos préoccupations, preuve de plus que les sujets du cinéma brillant d’hier,
trouvent toujours leur écho aujourd’hui. « La Vérité » est un tissu
fait de la multiplicité des points de vue, des opinions, et des idées préconçues.
La détresse et la souffrance, couplée à l’injustice et à l’institution aveugle,
dont transpire le film, et qui nous hantera longtemps après vient ici éclairer
un nouveau pan de la diversité des thèmes abordés par le cinéaste. Bouleversant,
à l’image de son final déchirant…
Pour clôturer ce petit compte-rendu, nous nous contenterons de remercier bien chaleureusement l'équipe du Lux 2.0 (et en particulier Pierre Magne), non seulement pour leurs intentions, leur engagement et leur passion, mais aussi et surtout pour leur invitation, qui ne pouvait que combler notre bonheur de cinéphile...
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