Exploitation, métamorphose du classique pour création du moderne... It Follows, de David Robert Mitchell

It Follows, de D.Robert Mitchell : Exploitation et métamorphose du classique pour création du moderne...


Il est de ces œuvres qui capturent si intensément votre rétine que vous ne pourriez dire, une fois terminée, combien de temps elle vous a happé, tant il semblerait que l’écoulement du temps justement se soit si subitement accéléré, pour ne pas dire démultiplié. 

It Follows, c’est d’abord et surtout, une ode à la beauté formelle qui vient aussitôt nourrir une envie perpétuelle «d’arrêt sur image », car l’on sait d’emblée ô combien ils pourraient être précieux à notre propre inspiration. Seulement, une suite de beaux plans n’a d’intérêt que si l’ensemble devient une forme, devient une pièce venant s’imbriquer dans ce grand puzzle que l’on nomme atmosphère. Celle qui se dégage du film est à la fois très pesante, et totalement magnétisante, ce qui en fait cet attrait un peu fou. 
C’est la particularité de cette lignée de nouveaux auteurs qui n’ont pas peur du genre, et encore moins de l’hybridité. C’est comme cela, qu’il semble que tout le moderne de l’œuvre de David Robert Mitchell proviendrait en fait, de son exploitation si fine du classique. En effet, il ne fait jamais de l’esbroufe, il se contente de peindre ce qu’il maîtrise, en employant des couleurs empruntés aux chefs d’œuvres classiques du genre pour les détourner en sublimes dégradés novateurs. 

It Follows, c’est aussi un lieu. A Detroit, nous préférerons le terme, certes si utilisé mais en même temps si juste, de ville fantôme, d’où émergent des créatures semblant inextricablement liées aux ruines hantées qui la composent. Se protéger de ces « choses » à la forme mouvante, c’est sans cesse guetter, sans cesse chercher. Ainsi surgissent ces panoramiques, ces trajectoires, aussi lents qu’hypnotisants, qui soulignent à quel point le danger est terriblement… environnant. La profondeur de champs devient alors le parfait outil filmique tant il est soigné par son artisan, qui s’évertue à entremêler points de vue et suggestion pour venir former l’osmose parfaite que l’on pourrait ici nommer, subjectivité. D’où, aussi, ces mouvements circulaires qui font du fait de tout scruter, plus qu’une habitude, une obligation. 
Seulement, les victimes ne sont pas les seules à scruter… Nous, ne sommes pas les seuls à scruter. Les autres, que l’on ne fait que distinguer, qu’apercevoir, deviennent la matrice du voyeurisme dont suinte le récit. Les protagonistes seraient comme des rats de laboratoires, enfermés dans un jeu sordide, auquel les plus pervers (les adultes ?) ne feraient qu’assister sans jamais rien faire. 

Motifs, symboles et destinées. L’enfance, la transition et la fuite. Tout un ensemble de motifs (piscine gonflable, balançoire, bicyclette…) contribuent à ce que l’enfance soit elle aussi un fantôme qui traverse le film et ne parvient pas à se détacher de la peau des personnages. Elle devient alors un fantôme palpable, présent, à l’opposé du spectre invisible des figures parentales. Face à l’enfance, face à la transition, vient s’imposer l’acte sexuel, souvent sale, souvent angoissant, pas dans l’instant, mais bien sur les traces qu’ils laissent symboliquement sur ceux qui ne sont pas tout à fait prêts à grandir. Ainsi, quand certains sont vêtus de blanc (naïveté, innocence en général…mais paradoxalement ici, les créatures également !), les autres arborent la couleur rouge. Quand ils sont atteints ? Et si oui, de quoi ? Une maladie ? Autant de questions dont on accepte l’absence de réponse nette car « choisir c’est renoncer » non ? Alors pourquoi s’y plier quand une œuvre est aussi dense et ouverte justement ? 

Si le lieu est lui-même un piège, le film n’est pas dénué de motifs qui contribuent à un certain apaisement, voire à une échappatoire. On pense à la nature et à la flore en particulier, que Jay s’applique à observer pour mettre fin à ses angoisses, mais aussi à la voiture, qui est ici le seul moyen de fuir. Seulement fuir, ne serait-ce pas aussi une caractéristique de l’enfant qui refuse de grandir ? Peter Pan moderne peut-être pas (quoique ?), mais il n’en demeure pas moins qu’It Follows pourrait s’avérer être un foisonnant conte horrifique à la portée initiatique (la fin ne soulignerait-elle pas cet aspect-là en montrant des personnages, vêtus de blanc, qui avancent enfin sans fuir ? D’où cette citation de « L’Idiot » : « Advienne que pourra »). 

It Follows est une œuvre à la croisée des époques, des genres et des inspirations, et c’est bien cet entremêlement empli de maîtrise qui semble être à l’origine de l’émergence d’un style nouveau. Comment pourrait-il en être autrement ? Si certains affirment que le cinéma n’est qu’éternel recommencement, alors nous, nous affirmerons avec espoir que It Follows fait partie des briques qui font se dessiner un nouveau mur de projection...



It Follows,
De David Robert Mitchell  
Sortie : 4 février 2015


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