You were never really here, de Lynne Ramsay. De l'océan de noirceur surgit un tandem déchirant.

De l'océan de noirceur surgit un tandem déchirant.


You were never really here s’applique à vous tenir crispé sur votre fauteuil, et ne vous donne l’occasion de desserrer les mâchoires que très rarement. Une fois la séance terminée, il est un besoin de bouffée d’air inexplicable, prégnant. Cependant, même une fois dehors, l’atmosphère du film se refuse à relâcher votre esprit. Le trouble est grand quand on tente alors d’avoir un avis sur ce qui vient de nous exploser à la figure.

C’est un récit crépusculaire noyé dans une violence et une noirceur sempiternelles, au sein duquel se dessinent deux silhouettes brisées par des fêlures inconcevables. Deux êtres torturés dont la rencontre est immédiatement magnétisée par une confiance et une compréhension aveugles, qui découle d’une souffrance commune, et qui se cristallise autour de deux regards similaires, d’une profondeur à vous lézarder le cœur. L’un est un fantôme qui erre dans le dédale d’une vie composée d’anciens cauchemars et de tâches brutales à l’extrême. La seconde est l’enfant souillée par l’être humain dans toute sa hideur et sa monstruosité. Le lien invisible qui semble avoir toujours existé entre eux est l’aspect le plus bouleversant et le plus marquant du film. C’est celui, je crois, qui nous avait attiré avant le visionnage, qui fait que la voix « se casse » à l’évocation du film, même si l’on on peine à réellement placer des mots dessus.
 
Si l’on parle de l’impression déchirante qu’ont laissée ces deux personnages sur nous, il faut bien évidemment parler des deux acteurs absolument fascinants qui les habitent. Joaquin Phoenix transcendé par son rôle, allie à la perfection transformation physique et intériorité renversante. Quand à Ekaterina Samsonov, elle offre du haut de ses 14 ans une prestation saisissante, bouleversante, où la parole apparaît presque comme superflue.

L’autre attrait majeur, hypnotique, du film est sa mise en scène, remarquable, oppressante et que l’on pourrait qualifiée d’atmosphérique au travers de son style. Sa force ne réside pas dans l’inventivité de ce qui se déroule à proprement parler à l’écran, mais bien dans la façon qu’a Lynne Ramsay de le montrer avec une originalité et une audace marquantes, baignée d’une infinie noirceur (cela malgré les belles lumières néoneuses qui viennent trancher avec la nuit).

Cette renversante proposition de cinéma se voit néanmoins freinée, alourdie, par des choix de narrations pour le moins discutables. En effet, un récit aussi noir soit-il, abritant des personnages aussi torturés soient-ils, doit-il obligatoirement tomber dans le piège de la violence extrême et outrancière ? L’application et la certaine délicatesse dans la mise en scène n’aurait-elle pas gagné à illustrer une violence plus suggérée, symbolique ? Ce qui est d’autant plus étonnant que certains pans de l’histoire s’appuient en effet, et habilement, sur le motif de l’évocation (le fabuleux emploi du motif de l’eau par exemple, qui recèlerait une portée salvatrice ou purificatrice), ce qui crée un réel décalage avec l’absence de modération, l’excessivité du reste en terme de violence.


De cet océan de noirceur visuellement très maîtrisé s’impose à notre esprit l’émergence d’un duo de personnages que l’on espère ne jamais oublier. Et c’est là sans doute la grande force de Lynne Ramsay, écrire, plus qu’une histoire, la concomitance de deux semblables qui s’apporteront mutuellement la protection qui manque à l’un, et l’innocence qui manque à l’autre. La cassure qui les réunit dans une étreinte sourde et sublime, est la fulgurance qui cause la plus violente, et la plus magnifique émotion du film.



You were never really here,
De Lynne Ramsay.
Sortie le 08 novembre 2017.  

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