Lost River, de Ryan Goling. Le cauchemar était vêtu de lumières.

Le cauchemar était vêtu de lumières.


Dans l’histoire de notre amour profond pour Lost River, les larmes sont partie intégrante. Les larmes du premier visionnage de la bande annonce, qui traduisent cette impression folle d’avoir devant les yeux un univers que vous avez toujours, au plus profond de vous, souhaité voir sur ce grand écran blanc. Puis, une fois le film découvert et infiniment gravé en nous, il y eut les larmes pour le défendre de toutes nos forces, ne comprenant pas comment des critiques pouvaient être formulées de façon aussi virulente contre un film qui a tant su trouver sa résonance en notre for intérieur.

Conte de fées d’un nouveau genre, au cœur d’un Detroit fantomatique et laissé pour compte, Lost River puise toute sa force dans la création d’un univers à part entière qui se joue du cadre temporel et vient s’imprimer sur l’écran avec style, beaucoup de style. Le rêve esthétique se mêle alors au cauchemar de la noirceur que soulève le récit. Métaphore à la fois de la décadence humaine (voir le théâtre macabre) et des peurs qui rongent notre société dans laquelle les loups portent des masques d’hommes. On sent aussi chez Gosling un attachement très particulier à l’enfance dont l’innocence pure vient se heurter à un univers anxiogène bien trop grand pour lui. Pour rassurer son petit frère, Bones lui dit qu’il « trouvera le monstre ». Phrase loin d’être anodine, c’est l’ironie tragique des peurs enfantines qui se confrontent aux vrais dangers du monde extérieur. Bones qui a grandi, aura tout de même un monstre de chair à affronter, mais aussi un monstre plus insidieux qui prend la forme d’une dette que l’on ne peut rembourser. Au milieu de tout ça, le seul rempart, la seule lumière restera la figure de la famille et des liens tissés entre les protagonistes.


Pour traduire des idées et un imaginaire si denses et symboliques, Lost River se devait de se parer d’une mise en scène et d’une photographie à imprimer la rétine durablement, voire éternellement. C’est là qu’interviennent ces lumières et néons dont les couleurs chaudes enveloppent, tantôt de façon inquiétante, tantôt de façon rassurante, les ombres et les silhouettes, achevant de dessiner cet univers novateur et hypnotique. Au milieu de celui-ci, la caméra avance à tâtons, dans le même long flottement qui caractérise le film, arpentant chaque détail du cadre aussi dépouillé que soigné dans lequel apparaissent les symboles de la fuite ou d’une quelconque échappatoire (une porte en arrière-plan d’un personnage terrifié, le visage d’un héros encadré par la vitre de la portière d’une voiture qui constitue son unique mais impuissant moyen de fuir…). A cela s’ajoute les plans fixes d’une ville en perdition, dont on assiste avec impuissance à la désagrégation.


Enveloppé de la musique envoûtante de Johnny Jewel, Lost River devient ce rêve tournant au cauchemar, ce monde perdu à une distance dont nous ignorons l’importance car nous gardons bien en tête qu’il avait déjà hanté la réalité de nos rêves peu avant la découverte en salle, peu après le visionnage de sa bande-annonce. C’est aussi une mélancolie sourde, une nostalgie que recèle les lieux mais aussi les personnages qui tentent encore de les peupler, qui viennent draper le film pour en faire une expérience si personnelle et si poétique. Le cinéma est affaire de ressentis, d’instants où tout le reste s’efface afin de plonger dans une rivière inexplorée, rivière qui, parfois, n’a pas fini de hanter nos esprits…






Lost River,
De Ryan Gosling.
Sortie le 08 avril 2015.


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