Juste la fin du monde, de Xavier Dolan. "L'émotion ce n'est pas toujours facile"

 "L'émotion ce n'est pas toujours facile."


Ce sont vos mots Xavier Dolan. Pourtant, peu l'exprime et la retranscrive à l'écran aussi bien que vous, et Juste la fin du monde est là pour nous le confirmer, une fois de plus.

C'est un dimanche caniculaire où le amas de souffrance resté enfoui depuis tant d'années impose sa rébellion, son terrible réveil durant un dimanche en famille. C'est le jour du "retour" de Louis, attendu par sa famille comme le "Messie", redouté comme lui aussi, car c'est vrai, on a toujours peur d'être déçus par ceux qu'on aime. Surtout quand l'attente, l'absence ont fait leur œuvre. L'absence qui bouffe ce qu'on consacre à l'amour et que l'on a du coup plus la force de lui consacrer.
Gros plans, petits espaces, illustrent avec force l'étouffement auquel fait face le protagoniste au sein de cette famille dont il s'est éloigné depuis 12 ans. "Ils me font peur", ce sont ses mots, tranchants, bouleversants. C'est un appel au secours de la part d'un homme qui vient annoncer la fin de sa propre existence, mais ça qui osera le comprendre ? Car c'est vrai, il arrive un moment où les mots ne suffisent plus, où l'indicible reste suspendu au beau milieu de notre cœur sans qu'on sache comment le libérer. Et c'est à ce moment précis que le silence est le plus éloquent, c'est aussi là qu'il est le plus beau, le plus touchant, le plus puissant. 

Puissant comme l'est le regard de Gaspard Ulliel (Louis) qui peine à dissimuler le terrible fardeau dont il se voit encombré. C'est dans son regard d'ailleurs, qu'un des personnages aura l'attention nécessaire pour y déceler la vérité (à l'occasion d'une scène absolument splendide). Ce qui bouleverse aussi quand on observe Louis, ce sont ces sanglots qui demeurent comme bloqués au fond de la gorge (tout comme les mots), en effet les seules et uniques larmes qu'il versera seront pour ce qui est un des plus beaux plans du film. 

Dès le départ, la difficulté des personnages à libérer leur parole, à exprimer leurs colères et leurs espoirs, leur rancœur et leur amour, distille lentement ce venin qui souille les corps livrés à l'incommunicabilité, jusqu'à un final magistral, véritable sommet de tension, où explose (du moins en partie) ce qui a été trop longtemps refoulé.




Le film propose un bouleversant rapport au passé directement lié à cette incapacité à parler de manière directe des sentiments. Si certains veulent faire taire la mère qui veut réveiller les souvenirs pourtant heureux du passé, Louis se cache pour s'y replonger, Antoine ne parle pas pour y échapper, et Suzanne est comme en dehors de ce qu'a vécu la famille jusqu'à présent tout comme Catherine qui s'applique pourtant à y montrer tout son intérêt. Les années sont donc une des causes principales de la souffrance accumulée par ces personnages qui s'interrogent souvent sur leur âge respectif et sur lequel le départ de Louis a laissé une trace unique, indélébile.

Juste la fin du monde de Dolan n'est pas du théâtre filmé, non, c'est bel et bien la vision de cinéma d'un jeune prodige qui trouve le courage de transposer sur l'écran son hypersensibilité avec une infinie sincérité. Car il nous semble que dans ce film, on peut trouver beaucoup de Dolan mais aussi et surtout beaucoup de chacun de nous et voir ces vérités "jetées" sur l'écran fait mal mais soulage aussi d'une certaine façon.
Alors cher Xavier Dolan, merci d'oser le flou, le ralenti, le gros plan, les flash-backs, le regard caméra, le choix de la pellicule, les longs dialogues, les non-dits et les silences aussi... Merci pour ces séquences musicales qui nous font chaque fois chavirer, merci pour ces flashbacks d'une beauté infinie et qui représentent les libérations bénéfiques qu'offrent parfois les souvenirs. Merci de nous offrir cette surpuissante vision de cinéma qui nous cloue d'admiration et de reconnaissance à notre fauteuil.  


Juste la fin du monde,
de Xavier Dolan
Sortie le 21 septembre 2016



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